Acculturer ses clients : la nouvelle frontière de la responsabilité sociétale des entreprises

Marc Campi - Square Management
Réchauffement climatique accéléré, pollution des sols, de l’air et des eaux, réduction de la biodiversité… Le consensus des scientifiques est aujourd’hui unanime pour affirmer que le modèle économique n’est pas soutenable et doit être transformé de manière radicale si nous souhaitons éviter à la planète, à son écosystème et à l’humanité, des conséquences dramatiques. Ces deux dernières décennies, ce consensus s’est étendu progressivement aux politiques et aux opinions publiques, dans tous les pays.

Et pourtant, à date, le rythme de transformation est très insuffisant. Le rapport de l’ONU publié en octobre 2022 indique que l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre rend l’objectif de limiter la hausse des températures à 1,5°C peu crédible. Au contraire, les tendances actuelles laissent présager un accroissement de température de 2,8°C d’ici la fin du siècle. Plus le temps passe, plus la fenêtre temporelle pour agir se réduit dangereusement et la radicalité des changements nécessaires s’accroît. De fait, les changements nécessaires sont tellement radicaux qu’ils donnent le vertige, d’autant plus qu’ils ne font pas consensus et donnent lieu à des débats virulents, avec des lignes de fractures qui apparaissent, pour certaines d’entre elles, impossibles à résoudre : faut-il renoncer à la croissance économique ? Faut-il réduire significativement l’utilisation d’énergie ? Comment convient-il de partager l’effort d’adaptation entre pays riches et pays pauvres, entre ménages aisés et ménages défavorisés ? Le progrès technologique peut-il permettre de réduire les impacts de notre modèle économique sur la planète et ainsi nous épargner une transformation radicale ?  L’impossibilité de résoudre aisément et consensuellement ces questions et à aligner les intérêts de toutes les parties prenantes au défi climatique et écologique de la planète ralentit ainsi l’action et accroît l’urgence.

C’est ainsi fort à propos que le Salon Produrable 2023 a choisi, pour sa 16ème édition, le thème de la culture. En effet, au-delà des efforts déjà entrepris et des quelques progrès déjà réalisés, s’impose la conviction que le changement de « mindset » des acteurs économiques (individus, entreprises, acteurs publics…) constitue le principal levier de la nécessaire transformation. Au-delà des efforts de régulation des Etats, des efforts de financement des banques et des investisseurs, c’est bien le système de valeurs, les croyances, les comportements, les habitudes de production et de consommation qu’il convient de modifier.

Activité économique et culture sont en effet interdépendantes. D’un côté, les agents économiques qui consomment (ménages, entreprises, organismes publics), par leur préférences, leurs comportements (en un mot, leur « culture ») définissent la demande de biens et services : une évolution de cette culture vers plus de responsabilité collective aurait ainsi potentiellement un énorme impact : il « suffit » que la demande pour la viande bovine ou pour le transport aérien baissent pour que les producteurs de bétail et les compagnies aériennes soient contraints de baisser leur production et réduisent ainsi les impacts négatifs sur la planète. D’une autre côté, il apparaît de plus en plus que la responsabilité sociétale des producteurs s’étend aujourd’hui au-delà de son périmètre traditionnel et qu’elle se transforme en une responsabilité de contribution au changement culturel de leurs clients. Il ne sera plus demandé aux entreprises de répondre la demande de leurs clients, mais bien de les acculturer et de les former à des pratiques de consommation plus responsables.

Cette approche de la responsabilité des entreprises est radicalement nouvelle : lorsque la RSE vise à répondre aux attentes des parties prenantes, elle a l’ambition d’ajuster « à la marge » le business model de l’entreprise. Lorsque la responsabilité est d’acculturer les parties prenantes et, en particulier les clients, l’ambition devient potentiellement beaucoup plus forte et impactante sur le business model de l’entreprise. Cette RSE « nouvelle » peut conduire l’entreprise à inciter ses clients à consommer moins, ce qui peut avoir des impacts sur les volumes de ses ventes ; elle peut conduire l’entreprise à inciter ses clients à consommer « mieux », ce qui peut avoir pour conséquence de forcer l’entreprise à réorganiser totalement sa production, sa distribution, son marketing, ses processus d’innovation… Cette responsabilité d’acculturation constitue la nouvelle frontière de la RSE de toute entreprise souhaitant prendre à bras le corps les défis de la transition.

Retrouvez Square Management le 12 septembre :

- Plénière d’ouverture à 9h : La  bascule de notre société sera culturelle ou ne sera pas ! Intervention de Franck Amalric, Sponsor Domaine d'Excellence Entreprises & Finance Durable

- Table ronde à 13h : Comment les entreprises doivent-elles accompagner les consommateurs vers la sobriété désirable ? avec Ludivine Richeboeuf, Principal